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    Titi22

    César, Napoléon III et l’hégémonie arverne en numismatique

     

    1. Question historique

     

    Nous allons dans cette section explorer les textes antiques d’intérêt en vue de reformuler la question historique à laquelle nous allons chercher à répondre.

    Dans les récits que César fait parvenir au sénat romain, réunis dans ses commentaires de la guerre des Gaules, les Arvernes sont présentés comme un peuple puissant ayant dominé la Gaule.

    César, vers -52, Guerre des Gaules, VII, 4, « Vercingétorix, fils de Celtilos, arverne, jeune homme qui était parmi les plus puissants du pays, dont le père avait eu l’empire de la Gaule et avait été tué par ses compatriotes parce qu’il aspirait à la royauté, … ».

    Tite-Live fait mention, dans l’extrait ci-dessous, d’un accompagnement arverne (non exclusif comme spécifié par Jean-Louis Brunaux, « Pour une histoire politique de la Gaule, Colbert de Baulieu et la question de l’hégémonie », revue de Numismatique Belge et de Sigillographie, CLXII, pp 85-98, 2016.) lors de la traversée des Alpes par Hasdrubal frère d’Hannibal en -207, destinée à appuyer les troupes d’Hannibal en Italie. Pour ce qui est des descriptions géographiques et ethniques en Gaule de Tite-Live, la prudence semble de mise. En effet, Tite-Live suggère le passage des troupes d’Hannibal le long de la Durance après une excursion à la confluence de l’Isère et du Rhône. Ajoutant dans le texte repris, ci-dessous, qu’Hasdrubal passât le « plus souvent » par le passage de son frère, il n’aurait donc pas eu besoin de passer par l’Isère mais directement par la Durance, voilà qui l’éloignerait encore un peu du territoire des Arvernes.

    Tite-Live (~-60 à 17), Histoire Romaine, XXVII, 39 : « Ce qui les aida le plus pour cela, ce fut une erreur de jugement d'Hannibal qui, s'il pensait bien que son frère (Hasdrubal) parviendrait cet été-là en Italie, en revanche, se rappelant quelles difficultés innombrables il avait lui-même éprouvées, au passage du Rhône, puis des Alpes, à lutter contre les hommes et contre le terrain pendant cinq mois, ne s'attendait nullement à une traversée aussi facile et aussi rapide que fut celle d'Hasdrubal ; c'est pourquoi il quitta trop tard ses quartiers d'hiver. Mais, pour Hasdrubal, tout fut plus prompt et plus aisé que lui-même et les autres ne l'espéraient. Non seulement, en effet, les Arvernes, puis tour à tour, les autres peuplades gauloises et alpines le reçurent bien, mais encore elles le suivirent à la guerre. De plus, il conduisait ses troupes par des endroits frayés, le plus souvent, par le passage de son frère, mais auparavant sans chemin ; et surtout l'habitude de voir franchir, depuis douze ans, les Alpes, devenues accessibles, avait adouci le naturel des gens parmi lesquels il passait. Auparavant, en effet, hors de la vue des étrangers et inaccoutumés eux-mêmes à en voir sur leur terre, ils n'avaient aucune relation avec le genre humain ; et d'abord, ne sachant où allait le Carthaginois, ils avaient cru qu'il venait prendre leurs rochers, leurs bourgs et un butin de troupeaux et d'esclaves. Puis le bruit de la guerre Punique, qui, pour la douzième année, mettait à feu l'Italie, leur avait bien appris que les Alpes n'étaient qu'un passage ; que deux villes très fortes, séparées par de grandes étendues de terre et de mer, se disputaient l'empire et ses richesses. Voilà les raisons qui avaient ouvert les Alpes à Hasdrubal. »

    A notre connaissance, la présence des Arvernes auprès des troupes d’Hasdrubal n’est mentionnée par aucun autre auteur antique. On reprend, ci-dessous, les textes d’Appien et de Silius Italicus. Le premier indique clairement qu’Hasdrubal a emprunté la même voie que celle qu’avait ouvert Hannibal pour sa traversée. Cette voie, décrite par Polybe, est une remontée le long du Rhône suivie probablement par une remontée de l’Isère vers les Alpes. Cette voie ne passe donc pas non plus par le territoire des Arvernes. Tite-Live, contemporain d’Auguste, aurait-il exagéré la présence arverne pour magnifier un peu plus l’exploit du dieu César (ainsi qu’il le nomme) ? Silius Italicus semble lui souligner que les Gaulois qui « reçurent » Hasdrubal sont surtout des mercenaires et on ne peut effectivement exclure une présence arverne parmi eux.

    Appien (95 à >161), Guerre hannibalique, VIII, 52 : "En attendant son frère Hasdrubal, avec une armée qu'il avait enrôlée en Celtibérie, marchait sur l'Italie. Il fut reçu amicalement par le Gaulois, il passa les Alpes par la route qu'Hannibal avait ouverte, accomplissant en deux mois le trajet qu'Hannibal avait fait en six."

    Silius Italicus, Les Puniques, XV, 26, 6-7 (Nisard, 1869): « Le Carthaginois (Hasdrubal frère d’Hannibal) délivré de ses craintes, armait, près de la porte Bébrycienne, les peuples qui habitaient au-delà des monts. Il achetait les troupes à grand prix, et prodiguait facilement pour la guerre les trésors amassés dans la guerre. Il s’était fait précéder de l’immense quantité d’or et d’argent recueillie dans l’Ibérie au milieu de tant de travaux et de dangers. L’appât de l’or échauffe le courage de tant de ces âmes vénales ; il voit bientôt son camp se remplir de bien des nations qui habitaient le long des rives du Rhône et des bords fertiles de la Saône. Il part, prend sa route par les champs celtiques, arrive rapidement au pied des Alpes, dont il voit avec étonnement les cimes orgueilleuses que son frère a franchies ; il y cherche les traces d’Hercule, et ose comparer les traces d’Hannibal à celles de ce dieu.».

    Appolodore très indirectement et vers -150 signale que les Arvernes sont un peuple belliqueux. 

    Appolodore, repris de manière fragmentaire par Stéphane de Byzance (Marc Bouiron, « L’Epitomé des Ethniques de Stéphane de Byzance comme source historique : l’exemple de l’Europe occidentale », Thèse de l’Université de Nice Sophia Antipolis, 2014), « Aoernoi peuple très belliqueux de Gaulois de Celtique. »

    Strabon nous rappelle que le roi salyen Teutomatos, ayant fui la Provence sous la pression romaine en -124 se réfugie en pays allobroge. Vers -122, l’armée romaine défie et vainc le roi arverne Bituit allié aux Allobroges. Cet épisode conduit à la soumission des Allobroges à Rome, le devenir des Arvernes étant moins clair. Il est affirmé que les Arvernes ont dominé la Gaule. L’histoire nous montre que cette éventuelle domination, attestée il nous semble par ce seul texte, ne peut avoir eu lieu qu’entre -206 et -120. Il mentionne l’opulence arverne, dans la seconde partie du texte reprise de Poseidonios d’Apamée (Claire Feuvrier-Prévotat, « Echanges et sociétés en Gaule indépendante : à propos d’un texte de Poseidonios d’Apamée », Ktèma : civilisations de l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, N°3, 1978. pp. 243-25), une génération avant Bituit, donc probablement vers -150. Cela est probablement à rapprocher de la mention d’Appolodore vers -150, ci-dessus.

    Strabon, Géographie (-63 à 23), IV , 2, « Ajoutons que les Arvernes, non contents d'avoir reculé les limites de leur territoire jusqu'à Narbonne et aux confins de la Massaliotide, étaient arrivés à dominer sur la Gaule entière, depuis le mont Pyréné jusqu'à l'Océan et au Rhin. Enfin le fait suivant peut donner une idée de l'opulence et du faste de Luerius, père de ce fameux chef, Bituit, qui livra bataille à Maximus et à Domitius : pour faire montre de sa richesse aux yeux du peuple, il aimait à se promener en char dans la campagne en jetant de droite et de gauche sur son passage des pièces d'or et d'argent, que ramassait la foule empressée à le suivre. »

    César est suivi par Strabon pour présenter les Arvernes comme un peuple puissant ayant dominé la Gaule mais cela semble nettement moins clair à la lecture des autres auteurs. César et Strabon ont-ils exagéré cette hégémonie des Arvernes ? Une des motivations pouvant être de rendre plus acceptable la défaite de Gergovie en -52.

     

    Le lecteur pardonnera de probables oublis dans l’analyse des textes antiques. Nous allons à présent aborder la question posée sous l’angle numismatique pendant la période de la guerre des Gaules.

     

     

     

    2. Le débat numismatique de l’hégémonie arverne

     

    Sur la base des textes étudiés, Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu (« Le numéraire des Volcae Tectosages et l’hégémonie arverne », dialogues d’histoire ancienne, vol. 1, pp. 65-74, 197), l’un des pères de la numismatique contemporaine, considère qu’à la fin du troisième siècle les Arvernes dominaient la Gaule. Il rappelle également que Camille Jullian considérait l’existence d’un véritable empire gaulois au milieu du second siècle. Ces positions semblent conformes aux textes de César et de Strabon. Colbert de Baulieu renforce sa position en soulignant le rôle important joué par les Arvernes lors de la traversée d’Hasdrubal. Nous avons vu que ce second point doit être nuancé à la lecture des autres textes. La position historique retenue par Camille Jullian comme par Jean-Baptiste Colbert de Baulieu les amène à considérer qu’un grand nombre de statères d’or provient de cette entité hégémonique. D’où, également, l’hégémonie monétaire arverne et aussi une datation un peu tardive des premiers statères gaulois. Une conséquence directe de cette théorie est de dénier toute émission de statère avant la victoire romaine en -121. Louis-Pol Delestrée (« Colbert de Baulieu et sa théorie de l’hégémonie monétaire », revue de Numismatique Belge et de Sigillographie, CLXII, pp 67-84, 2016) remet en cause une prétendue hégémonie monétaire des Arvernes, sur laquelle Colbert de Baulieu était en partie revenu par la suite. Jean-Louis Brunaux, (« Pour une histoire politique de la Gaule, Colbert de Baulieu et la question de l’hégémonie », revue de Numismatique Belge et de Sigillographie, CLXII, pp 85-98, 2016) répond avec des arguments parfois discutables à cette théorie (en minimisant la portée des écrits de César sur le rôle joué par les Arvernes en Gaule et en affirmant le rôle exclusif des Arvernes dans le périple d’Hasdrubal à travers les Alpes). Ainsi, les principaux acteurs de ce débat s’accordent finalement sur le fait que le rôle politique et monétaire joué par les Arvernes a probablement été exagéré.

    Il semble que le roman national écrit au XIXème siècle combiné aux écrits politiques de César ont permis de conclure, avec un accord de toutes les parties (romaines et napoléoniennes), au fait que Vercingétorix était le roi naturel de toute la Gaule (il n’était probablement pas roi) et que son héroïsme l’a conduit à une défaite (rémanence du romantisme napoléonien ?) qui permit la création d’un empire presque aussi impressionnant que celui de Napoléon III. Cette position n’est, à présent, plus de mise.

     

     

     

    3. Monnaies émises en pays arverne pendant la guerre des Gaules

     

    Quelques éléments importants dans l’analyse des données :

     

    1. Il n’existe pas réellement d’émissions civiques issues d’une entité politique couvrant le territoire ni arverne ni gaulois (Louis-Pol Delestrée, « La problématique des ateliers monétaires gaulois », pp. 65-78, Studies in honor of Johan van Heesch, Fran Sroobants & Christian Lauwers Editors. Cercle d’études numismatiques – European Center for Numismatic Studies, Bruxelles, 2020), mais des émissions par des notables civils et militaires appartenant à ce territoire. Les légendes sur les monnaies épigraphiques le soulignent pour certaines comme, par exemple, la légende EPAD comme abréviation du nom d’un des chefs arvernes Epasnactos.

    2. Les statères de Lapte sont parfois donnés pour des émissions issues du territoire arverne mais les lieux de découverte de ces statères ne le confirment pas. Les plus anciens des statères de l’ensemble dit « de Lapte » n’ont, a priori, pas de correspondants synchrones en Arvernie. Ces monnaies sont, par ailleurs, antérieures à la guerre des Gaules.

    3. Les imitations des statères de Philippe II de Macédoine sont de deux types, soit des copies serviles pour les plus anciennes ayant circulé pendant le IIIème siècle avant notre ère, soit, dans une seconde phase, des copies à la légende déformée et leur émission est, dans tous les cas, antérieure à la période considérée. L’axe de diffusion de la première génération de ces statères traversait la Gaule du Luxembourg en Gironde en passant au nord de l’Arvernie où ces anciennes imitations macédoniennes sont rares ou sans provenances précises.

     

    Louis-Pol Delestrée (« Les statères de Vercingétorix : nouveaux apports, essais de synthèse », Cahiers Numismatiques, n°214, pp. 11-14, décembre 2017), dans le cadre d’une mise à jour de l’inventaire des statères VERCINGETORIX (un statère Vercingétorix à la tête casquée et un autre à la tête nue sont illustrés Figure 1), date ces derniers assez précisément à -52. Il nous indique, de plus, que les statères VERCINGETORIX et CAS présentent une liaison de coin de revers. Ce dernier point confirme que ces statères sont contemporains l’un de l’autre. Concernant l’aloi des statères de VERCINGETORIX il nous est rappelé qu’une grande partie d’entre eux sont en or allié à du cuivre et de l’argent (27/30). Par contre, trois statères sont en orichalque (laiton). Bien que de nombreuses hypothèses aient été envisagées pour expliquer le choix de ce matériau, Louis-Pol Delestrée les réfute méthodiquement et attribue ce changement métallurgique à un épuisement des réserves d’or. Il est notamment souligné que deux des trois statères en laiton ont été découverts à Alésia. Il existe aussi quelques statères à la légende CAS en laiton dont deux ont été retrouvés à Alésia. La justification proposée pour la frappe de ces statères nous permet donc de considérer avec une très bonne confiance que plus aucun statère ne sera émis en pays arverne après la guerre des Gaules. Louis-Pol Delestrée et Dominique Hollard (« La légende ATAVI-VIIDI(OS) sur un statère tardif émis en pays arverne », Cahiers Numismatiques, n°200, pp. 23-35, juin 2014) complètent la légende des statères ATAVI en ATAVI-VIIDI(DOS) en s’appuyant sur un statère révélant la suite de la légende. La présence de ces derniers auprès de statères VERCINGETORIX dans le trésor de Pionsat conduit Louis-Pol Delestrée et Dominique Hollard à les considérer également comme tardifs. Les statères émis en territoire arverne de la période qui nous intéresse sont ainsi des statères épigraphiques (Vercingétorix, au lys et à la cigogne, au lys et au fleuron) présentant les différentes légendes évoquées (VERCINGETORIXS, CAS, ATAVI-VIIDI). Ces légendes latines soulignent naturellement un contexte de romanisation de la Gaule.

     

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    Figure 1: Reconstitution d’un statère VERCINGETORIX, à gauche dit à la tête casquée (Jean-Baptiste Colbert de Baulieu, « Le statère Vercingétorix à la tête casquée », Revue Belge de Numismatique et de Sigliographie, tome 100, pp. 57-74, 1954) à partir de quatre exemplaires, à droite dit à la tête nue à partir de quatre exemplaires (4 monnaies de même avers présentant trois fois le revers issu du même coin, illustré ci-dessus).

     

    Les travaux de thèse de Sylvia Niéto (« La place du monnayage arverne dans les monnayages gaulois du centre et du sud de la Gaule aux IIe et Ier siècles av. J.-C. : étude numismatique et analytique », Actes du XIIIe congrès international de numismatique (Madrid-2003), 2005, p. 459-468) ont porté sur la détermination du titre en or des monnaies considérées comme émises sur le territoire arverne. Ceci est particulièrement utile car les Gaulois ne savent pas purifier l’or et des apports volontaires et donc irréversibles d’argent et de cuivre ont été réalisés au cours du temps. Le titre d’or fournit donc un index chronologique a priori fiable. Elle mesure notamment pour les statères de la période qui nous intéresse un titre moyen de 51% d’or complété principalement d’argent et du cuivre.

    Pour les monnaies d’argent, émises dans la période qui nous intéresse, on retient :

    • Les drachmes (EPAD au cavalier, PICTILOS, EPOMEDVOS, à l’oiseau et à la roue),

    • Le quinaire EPAD au guerrier.

    On rappelle que 65% des monnaies arvernes trouvées dans les fossés d’Alésia sont à la légende EPAD.

     

    Toutes les autres monnaies en alliages de bronze ne sont pas considérées dans notre analyse. Nous avons écarté les bronzes car leur comptage aurait été très exhaustif pour ne représenter au final qu’une fraction négligeable de la valeur (100g de bronze valent environ 1g d’argent).

     

     

     

    4. Tentative de quantification comparée des influences arvernes et bituriges cubes sur la base des données de CGB

     

    Nous nous situons résolument en -52, après la soumission ou la défaite de nombreux peuples gaulois. La situation correspond au retour de César en Gaule pour conquérir une partie centrale, pas encore soumise (Livre VII de la guerre des Gaules). Les principaux peuples encore résistants sont : les Bituriges cubes, les Arvernes, les Lémovices, les Cadurques, les Rutènes, et les Ségusiaves (voir Figure 2). Tout le reste de la Gaule est sous la coupe de Rome.

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    Figure 2: Etat de la Gaule avant l’attaque d’Avaricum (Bourges), inspirée de Wikipedia https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Gaule_-52.png.

     

    Nous savons à partir des commentaires de la guerre des Gaules que les troupes de Vercingétorix et de ses alliés bituriges cubes et celles de César se sont suivies pendant quelques étapes clef de la guerre des Gaules précédant la bataille d’Alésia :

    • La destruction de la capitale des Bituriges Avaricum (Bourges),

    • Le mouvement des légions vers Gergovie (non loin de Clermont-Ferrand).

     

    Afin de quantifier cette potentielle hégémonie arverne, nous allons tenter de procéder à une comparaison des volumes de monnaies des Arvernes d’un côté et des Bituriges Cubes de l’autre. Les monnaies étudiées sont toutes issues des archives de ventes de la société CGB. Pour cela, nous avons procédé à un comptage systématique des quantités d’émissions tardives en territoire arverne correspondant à la période de la guerre des Gaules considérée. Concernant les Bituriges Cubes, le comptage est nettement plus simple puisque les monnaies d’argent sont presque toutes des quinaires à la tête aquitainique (avec ses nombreuses variantes, voir quelques illustrations en Figure 3) à l’exception de quatre deniers au lituus. A ces monnaies nous avons ajouté deux statères à la victoire ailée.

     

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    Figure 3: Deux quinaires bituriges aux mèches aquitainiques (de gauche à droite : 1,91 et 1,89g).

     

    Le Tableau 1 recense les monnaies identifiées en nombre et en poids suivant le métal constitutif.

     

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    Tableau 1. Monnaies issues des archives de CGB frappées en territoire des Arvernes et Bituriges Cubes pendant la période précédant immédiatement la chute d’Alésia et conversion de leur valeur en argent.

     

    Pour finir, nous avons élaboré un index de valeur en masse d’argent équivalente. Cette valeur repose sur les remarques préalables suivantes :

    • Les monnaies romaines de la fin de l’époque républicaine présentent un très bon titre (contrairement aux monnaies gauloises),

    • 1 auréus de 7g d’or vaut 25 deniers de 3,8 g d’argent.

    Ces deux remarques nous permettent ainsi de convertir (avec des approximations raisonnablement précises) la valeur de l’or et de l’argent en masse d’argent équivalent selon :

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    Le titre des statères d’or, tant bituriges qu’arvernes est de 0,51 pour la période considérée, ainsi que justifié dans la section précédente. On constate donc que la valeur équivalente en argent des monnaies arvernes est plutôt légèrement plus faible que celle des Bituriges. Ainsi, on peut présupposer que les puissances monétaires des Arvernes et des Bituriges sont comparables. Notre approche pourrait être biaisée de nombreuses façons possibles mais elle restitue l’intuition du numismate sur la base des monnaies mises en vente.

     

     

     

    5. Quantification comparée de la valeur des monnaies gauloises retrouvées sur le site d’Alésia

     

    Les fouilles d’Alésia ont permis de recueillir 144 monnaies romaines et 460 gauloises. La composition de cet ensemble est étudiée par Brigitte Fisher (« Les monnaies gauloises du siège d’Alésia », Dossiers d’Archéologie, n°305, pp. 72-77, 2005) et Laurent Popovich (« Les monnaies romaines du siège d’Alésia », Dossiers d’Archéologie, n°305, pp. 78-79, 2005) dans un numéro dédié des Dossiers d’Archéologie. Les données recueillies sont rassemblées de manière synthétique dans le Tableau 2.

    Les statères de bronze sont, dans notre étude, comptabilisés comme des monnaies de bronze. Il est remarquable comme la vision des contributions respectives des différents peuples est modifiée. Le poids d’argent équivalent cumulé par les Romains est de 517g alors assez comparable à celui des Gaulois avec 630g. Les efforts de guerre étaient probablement comparables entre les deux belligérants. Il est aussi remarquable de constater que les Arvernes ne sont pas les plus importants contributeurs en valeur. On peut imaginer que le prestige de la victoire de Gergovie et l’alliance avec les Bituriges ont permis à Vercingétorix de conduire la coalition de peuples gaulois.

     

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    Tableau 2. Evaluation de la valeur du monnayage des différents acteurs de la bataille d’Alésia.

     

     

     

    6. Conclusion

     

    Nous avons tenté de repositionner le débat sur l’hégémonie monétaire arverne sur la base des textes antiques et des polémiques qui s’en sont suivies. Il semble clair que ce débat n’a plus lieu de se poursuivre sans y ajouter d’importantes nuances. Cette théorie a eu pour conséquence une datation assez systématiquement trop haute des monnaies et en particulier des statères. Il apparait à présent que les premiers statères ont circulé dès le IIIème siècle avant notre ère plutôt qu’à partir de -121.

    Nous avons justifié, sur la base des études les plus récentes réalisées par Louis-Pol Delestrée et Dominique Hollard, la sélection d’un ensemble de monnaies émises dans le territoire des Arvernes et Bituriges Cubes dont nous considérons qu’elles ont été frappées dans le contexte de la guerre des Gaules. L’aloi des statères est un paramètre important pour lequel les travaux de thèse de Sylvia Niéto apportent de nouveaux éléments.

    Nous nous sommes appuyés sur les archives de l’entreprise numismatique CGB pour comparer la valeur antique des monnaies ayant été vendues par cette société. Plus précisément, en comparant la valeur en « équivalent argent » de monnaies émises dans le territoire des Arvernes et celui des Bituriges Cubes. Nous constatons que, pendant la guerre des Gaules, la puissance monétaire de ces deux peuples est assez comparable, sans qu’il soit possible d’en dire beaucoup plus. Nous avons poursuivi cette approche en nous intéressant, cette fois-ci, aux monnaies découvertes dans les fossés d’Alésia. Une conclusion similaire se dégage avec une comparaison à d’autres peuples issus d’une coalition plus large pour cette bataille décisive. Ainsi, les Arvernes au moment de la guerre des Gaules, semblent loin d’être un très grand peuple auquel une grande partie de la Gaule est soumise. La puissance des Eduens alliés à Rome, et peut-être même celle des Séquanes, leur était probablement très supérieure. On peut, plus raisonnablement, imaginer que Vercingétorix ait coalisé les dernières résistances gauloises avant la bataille d’Alésia grâce au prestige offert par sa victoire à Gergovie. Il est aussi probable que cette première victoire ait coûté en avoir et en puissance au peuple arverne. Il reste certainement beaucoup de travail pour mieux appréhender la puissance arverne dans le siècle qui a précédé la guerre des Gaules pendant lequel des zones d’ombre semblent persister.

    Ainsi, on peut imaginer que Vercingétorix n’est probablement pas le grand roi unissant toute la Gaule contre Rome. Bien au contraire, il semble qu’il soit le jeune chef des armées encore coalisées, d’un grand courage et doué d’une stratégie militaire qui donna du fil à retordre même à Jules César. Ce chef a affronté, et même vaincu dans un premier temps, César malgré des moyens limités et une Gaule divisée.

     

     

     

    7. Bibliographie

     

    BOUIRON Marc, « L’Epitomé des Ethniques de Stéphane de Byzance comme source historique : l’exemple de l’Europe occidentale », Thèse de l’Université de Nice Sophia Antipolis, 2014.

    BRUNAUX Jean-Louis, « Pour une histoire politique de la Gaule, Colbert de Baulieu et la question de l’hégémonie », revue de Numismatique Belge et de Sigillographie, CLXII, pp 85-98, 2016.

    COLBERT DE BEAULIEU Jean-Baptiste, « Le statère Vercingétorix à la tête casquée », Revue Belge de Numismatique et de Sigillographie, tome 100, pp. 57-74, 1954.

    COLBERT DE BEAULIEU Jean-Baptiste, « Le numéraire des Volcae Tectosages et l’hégémonie arverne », dialogues d’histoire ancienne, vol. 1, pp. 65-74, 197.

    DELESTREE Louis-Pol, HOLLARD Dominique, « La légende ATAVI-VIIDI(OS) sur un statère tardif émis en pays arverne », Cahiers Numismatiques, n°200, pp. 23-35, juin 2014.

    DELESTREE Louis-Pol, « Colbert de Baulieu et sa théorie de l’hégémonie monétaire », revue de Numismatique Belge et de Sigillographie, CLXII, pp 67-84, 2016.

    DELESTREE Louis-Pol, « Les statères de Vercingétorix : nouveaux apports, essais de synthèse », Cahiers Numismatiques, n°214, pp. 11-14, décembre 2017.

    DELESTREE Louis-Pol, « La problématique des ateliers monétaires gaulois », pp. 65-78, Studies in honor of Johan van Heesch, Fran Sroobants & Christian Lauwers Editors. Cercle d’études numismatiques – European Center for Numismatic Studies, Bruxelles, 2020.

    FEUVRIER-PREVOTAT Claire, « Echanges et sociétés en Gaule indépendante : à propos d’un texte de Poseidonios d’Apamée », Ktèma : civilisations de l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, N°3, 1978. pp. 243-25.

    FISCHER Brigitte, « Les monnaies gauloises du siège d’Alésia », Dossiers d’Archéologie, n°305, pp. 72-77, 2005.

    NIETO Sylvia, « La place du monnayage arverne dans les monnayages gaulois du centre et du sud de la Gaule aux IIe et Ier siècles av. J.-C. : étude numismatique et analytique », Actes du XIIIe congrès international de numismatique (Madrid-2003), 2005, p. 459-468.

    POPOVICH Laurent, « Les monnaies romaines du siège d’Alésia », Dossiers d’Archéologie, n°305, pp. 78-79, 2005.

    WIKIPEDIA, https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Gaule_-52.png

     

    Remerciements à Guillaume Hermann pour son aide technique et nos échanges d'idées.

     

    Article téléchargeable librement et gratuitement en pdf ici Cesar_-Napoleon-III-et-l_hegemonie-arverne-en-numismatique_Titi22.pdf

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    Commentaires recommandés

    hébé, bel article, bravo.

     

    le rix de ouercingétorix se traduit par rex, roi et le tout signifie « Grand roi des guerriers », c'est une autorité non permanente rassemblant plusieurs peuples sous sa direction, quelque chose comme un imperator romain ou un généralissime pour nous, pas le nom de baptême d'une personne.

    https://fr.wiktionary.org/wiki/Vercingétorix

    c'était très certainement le même personnage à Alésia et Gergovie, d'où la confusion.

    le système a été conservée en Germanie, où, depuis Charlemagne, les princes (chefs de tribus) élisaient un empereur mais cette fois pour une fonction permanente.

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