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odyssey et black swan


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 Espagnols et Américains se disputent un trésor sous-marin

Par Stéphane Kovacs (avec Diane Cambon à Madrid)

18/05/2008

Une bataille diplomatique et judiciaire est engagée pour un magot de 500 000 pièces d'or et d'argent retrouvé sur une épave coulée au large de Gibraltar.

En ce matin du 5 octobre 1804, la «Nuestra Senora de las Mercedes y las Animas», une frégate espagnole de 36 canons, pensait avoir livré sa dernière bataille. De retour du Pérou, à l'époque «colonie ibérique», le vaisseau rentre à Cadix les cales remplies de pièces d'or et d'argent. Une fortune accumulée, semble-t-il, en Amérique latine par des militaires et des commerçants espagnols. La terre est presque en vue lorsque, peu avant 10 heures, une escadre de navires britanniques attaque. Quelques minutes plus tard, une énorme explosion déchiquette le bateau de l'Armada, envoyant par le fond 249 marins et le fabuleux trésor. C'est après cet incident que, le 12 décembre, l'Espagne entre en guerre contre l'Angleterre, aux côtés de la France napoléonienne.

Deux siècles plus tard, la bataille navale est devenue diplomatique. Il y a un an, le 18 mai 2007, l'entreprise américaine d'exploration sous-marine Odyssey annonce la découverte, «dans les eaux internationales, quelque part au milieu de l'Atlantique», du plus grand trésor sous-marin jamais trouvé : quelque 500 000 pièces d'or et d'argent, la plupart «en parfait état» et des centaines d'objets en or. Un magot de 17 tonnes, évalué à près de 500 millions de dollars (324 millions d'euros).

Aussitôt l'Espagne s'alarme : pourquoi Odyssey garde-t-elle jalousement secret l'emplacement exact de l'épave ? Selon le sémaphore de Tarifa, à la pointe sud de l'Andalousie, l'Odyssey Explorer, le bateau des chercheurs de trésors, n'aurait pas quitté les zones sous surveillance espagnole. Si, de temps à autre, il disparaissait de ses écrans radar, c'est qu'il avait coupé ses systèmes de localisation, assure à l'époque la Garde civile. Puis, c'est la Grande-Bretagne qui s'en mêle : à l'origine, Odyssey avait été chargée par Londres de retrouver l'épave du HMS Sussex, un navire de la Couronne britannique qui avait coulé en 1694, au large de Gibraltar, avec à son bord un trésor de guerre. Opérant depuis Gibraltar, la compagnie n'aurait-elle pas découvert l'épave dans les eaux britanniques ? Sauf que les Espagnols ne reconnaissent pas les eaux territoriales britanniques à cet endroit. Quant au Pérou, il n'est pas en reste : les pièces ont probablement été frappées dans ce qui n'est qu'une colonie espagnole au début du XIXe siècle. Cet or et cet argent, les conquistadores et leurs descendants nous l'ont «pris de force», clament les Péruviens. Il est donc «logique» que cet «héritage culturel» revienne à Lima. La dispute atteint même la Maison-Blanche : en juillet dernier, Madrid demande au gouvernement américain de défendre les droits des États sur les navires contenant des vestiges archéologiques.

«Pirates du XXIe siècle»

En fait, dès le départ, Madrid soupçonne Odyssey d'avoir trouvé le trésor dans ses eaux territoriales, ou bien sur un navire espagnol. Une photo, prise par un employé du port de Gibraltar et publiée fin mai dans le journal ABC, confirme ces soupçons. On y voit une pièce d'argent du XVIIIe siècle frappée du profil du roi espagnol Charles IV (1788-1808). Ce qui laisse supposer que l'épave ne serait pas le Sussex mais un navire espagnol. Face à ce qu'il nomme un «délit contre le patrimoine historique espagnol», Madrid dépose, le 29 mai 2007, une requête auprès du tribunal civil de Tampa, en Floride, où siège la société Odyssey. Là même où le butin de 17 tonnes a été précipitamment rapatrié, en toute discrétion, dans 2 800 caisses blanches, depuis l'enclave britannique.

Malgré plusieurs perquisitions à bord de leurs navires et de multiples recours des autorités espagnoles auprès du tribunal de Tampa, les chercheurs américains de trésors qui avaient déjà découvert le SS Republic au large des États-Unis avec un magot de 75 millions de dollars refusent de divulguer plus de détails sur l'épave, qu'ils ont baptisée du nom de code Black Swan («cygne noir»), et qui ne serait «sous la souveraineté d'aucun pays». Selon les conventions maritimes internationales, les inventeurs de trésors peuvent conserver jusqu'à 90 % de leur butin, si aucun État ne prouve que l'épave portait son pavillon à l'époque du naufrage. Tout juste Greg Stemm, dirigeant d'Odyssey, a-t-il fini par reconnaître, il y a un mois, la possibilité que le fruit des investigations provienne de la Mercedes, tout en assurant qu'il ne s'agissait que «d'une des hypothèses». «Nous n'avons pas d'élément permettant de l'identifier avec certitude», insiste-t-il. Mais l'Espagne, elle, en a «de multiples». Pour Madrid, le Black Swan et la Mercedes ne font qu'un. «Le trésor est la propriété de la marine, de l'État et du peuple espagnols, et nous voulons le récupérer entièrement» , assène James Goold, l'avocat américain qui défend l'Espagne dans cette affaire. Conseillère en chef du département de numismatique du patrimoine espagnol, Carmen Marcos revient de Floride, où elle a pu inspecter 20 000 pièces : «Aucun doute, elles ont bien été frappées à Lima au XVIIIe siècle», dit-elle, précisant que «certaines étaient déjà lavées, mises sous plastique, prêtes à la vente…»

Pour Madrid, il faut donc aller vite. «L'inspection des pièces de monnaie notamment des ducats et pièces de huit emportées par Odyssey aux États-Unis confirme qu'elles ont été prises sur l'épave de la Mercedes», indique l'avocat dans son argumentaire, déposé le 8 mai dernier auprès du tribunal de Tampa. L'Espagne s'appuie également sur le lieu où Odyssey conduisait ses recherches, au large du cap de Santa Maria, qui correspond à l'endroit précis où a eu lieu la bataille du 5 octobre 1804. D'autres éléments prélevés sur le site, comme des lingots de cuivre et d'étain, fournissent des preuves supplémentaires. Madrid veut rester discret sur ce site, «par mesure de sécurité», mais confirme qu'il s'agit bien d'eaux internationales.

Ce dernier point n'est toutefois pas un problème pour récupérer le trésor, affirme Me Goold, assurant que le simple fait qu'il s'agisse d'un navire de la marine espagnole fait qu'il revient de droit à l'État ibérique. «La loi est claire, souligne l'avocat. L'Espagne protège son patrimoine culturel. Elle entreprend des projets au bénéfice du public, ce n'est pas pour que quelqu'un ramasse ainsi des pièces d'or et aille les revendre sur eBay». Pour Madrid, il est hors de question de transiger avec ces «pirates du XXIe siècle» : ils n'auront «pas un centime». Selon Me Goold, Odyssey s'est comporté dans cette affaire «de manière inacceptable, moralement et légalement», pillant une épave militaire considérée par la marine espagnole comme un «cimetière marin».

Un cimetière de centaines de navires

La réplique d'Odyssey n'a pas tardé. «Ce que nous avons trouvé, c'est la cargaison d'un vaisseau, mais pas une épave, rétorque la compagnie. Il est surprenant que les Espagnols soient si sûrs d'eux, après avoir vu des photos et des vidéos qui ne montrent aucune coque, ni quille, et après n'avoir examiné qu'un échantillon statistiquement insignifiant de pièces de monnaie.» Selon Françoise Odier, juriste spécialisée dans le droit maritime à l'Institut français de la mer, il y a une autre faille dans la démonstration espagnole. «Le fait que le bateau battait pavillon espagnol n'est à mon avis pas suffisant : cela ne signifie pas que le gouvernement espagnol était propriétaire de sa cargaison, explique-t-elle. En tout cas, il devra rembourser Odyssey des frais engagés. Quant à la compagnie, elle tentera de démontrer le désintérêt de Madrid pour cette épave. Si les Espagnols s'y intéressaient, ils n'avaient qu'à demander à Odyssey de travailler pour eux ! Leur désintérêt apparent pourrait entrer en jeu dans la conviction du juge.»

Quant aux revendications péruviennes, les Espagnols se disent «prêts à partager» avec Lima ce patrimoine historique commun . Après tout, il y a des précédents. Il y a trois ans, l'Italie avait retourné à l'Éthiopie l'obélisque d'Axoum, datant d'environ 1 700 ans, qui avait été emporté à Rome en 1937 sur ordre de Mussolini.

Dans tous les pays concernés, l'affaire, qui est maintenant entre les mains du juge de Tampa, Mark Pizzo, est suivie de près. Gràce aux robots submersibles, équipés de sonars et dirigeables à distance, les chasseurs de trésors comme Odyssey sont aujourd'hui capables de retrouver des épaves coulées il y a des siècles, même enfouies au plus profond des océans. De telles querelles diplomatiques sont donc susceptibles de se multiplier, surtout en Méditerranée occidentale, cimetière de centaines de navires espagnols, français et anglais, coulés par des tempêtes ou des pirates durant l'époque coloniale. Odyssey aurait d'ailleurs déjà «l'œil sur une douzaine d'autres épaves», assure-t-on à Madrid. Selon le ministère de la Culture, qui vient d'établir un premier inventaire de son patrimoine du fond des mers, «près de 400 navires», probablement «le plus grand patrimoine subaquatique du monde», reposeraient au fond du détroit de Gibraltar. D'après d'autres experts, on pourrait en retrouver plus du double. Avec, dans leurs entrailles, des trésors d'un montant de plus de un milliard d'euros.

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